Bonjour à tous,
Pivots se déconfine, après une longue pause, mais sans avoir changé d’un iota.
Le sujet du jour est l’une des avancées concrètes de la crise des Gilets Jaunes, qui a débuté, pour rappel, sur fond de mécontentement face à l’augmentation de la fiscalité écologique : le Président Emmanuel Macron a accordé, après demande d’un collectif d’écologistes, d’organiser une grande convention citoyenne pour aider la France à guider sa politique climatique.
À l’été 2019, l’institut de sondage Harris Interactive a été chargé de désigner 150 citoyens représentatifs de la population française, en basant sur des critères définis par l’Insee (âge, région, catégorie sociale…) et après avoir tiré au sort 255.000 personnes sur listes téléphoniques. A partir d’octobre, ces 150 citoyens disposent d’un weekend de travail toutes les mois environ jusqu’à avril (initialement), mois lors duquel ils devaient présenter des propositions pour réduire les émissions françaises de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030 « dans un esprit de justice sociale ». Les sessions sont accueillies et organisées par le CESE, le Conseil économique, social et environnemental, sorte de 3e chambre du Parlement qui représente la société civile mais ne dispose que d’un rôle consultatif.
La Convention a organisé son avant-dernier weekend de travail du 6 au 8 mars dernier. Le dernier, prévu donc pour avril, a été repoussé au 19-21 juin. L’historique de sa mise en œuvre, ainsi que le déroulement de ses sessions de travail, peut être retrouvé sur le site de la Convention.
Les demandes d’un approfondissement de la démocratie, entre décentralisation, pratiques collaboratives ou encore transparence de la prise de décision, sont omniprésentes dans l’histoire de l’écologie politique. Récemment, l’un des nouveaux poids lourds de la mobilisation climatique Extinction Rebellion s’est formée sur un agenda de 3 demandes dont l’une est de créer des assemblées citoyennes qui auraient le pouvoir de décider des modalités de la transition écologique - que l’organisation espère radicale.
La Convention citoyenne pour le climat répond-elle, au moins en partie, à ces demandes de construction d’une nouvelle forme de démocratie permettant d’engager une transition ? S’agit-il d’un aperçu des institutions du futur ? Les écologistes sont partagés à ce sujet.
Pour peser le pour et le contre, il était nécessaire de confronter deux points de vue opposés mais aussi pertinents l’un que l’autre.
D’un côté, Hélène Landemore, politologue, a publié 10 février dernier dans Le Monde une tribune intitulée « La Convention citoyenne pour le climat pourrait préfigurer une nouvelle forme de démocratie » qui résume de manière synthétique ce que peuvent en attendre les partisans de ce nouvel exercice.
De l’autre, l’avocat spécialiste de l’environnement Arnaud Gossement a partagé sur Twitter une critique acerbe du processus, que le magazine en ligne Reporterre a souhaité reprendre dans une interview: « La convention citoyenne est profondément monarchique ».
Quelles attentes, et quelles craintes soulèvent cette Convention? Faisons le tri.
⚙️ Construction d’une nouvelle forme de légitimité démocratique
Le cœur de cet exercice relativement inédit dans le monde (les expériences similaires, comme en Irlande ou au Canada, ont eu lieu sur des sujets ou à des échelles plus restreintes) est bien d’imaginer une nouvelle façon d’apporter une contribution citoyenne légitime aux côtés d’institutions représentatives —qui ont certainement besoin de se voir « augmentées » tant la défiance à leur égard semble difficile à désamorcer.
En quoi 150 citoyens non élus, et tirés au sort (puis triés par un institut de sondage) seraient légitimes à participer à la prise de décision politique? Le sujet est vaste, et je vois deux points qui méritent d’être soulevés.
D’une part, le sujet est extrêmement bien choisi pour faire fonctionner cette nouvelle forme de légitimité. Dans l’intitulé de leur mandat, la partie qui me semble la plus importante est bien « dans un esprit de justice sociale ». Il ne s’agit pas, pour les participants, de réinventer la roue : de nombreuses organisations et personnalités ont déjà planché sur les postes d’actions possibles, sur des chiffrages et sur des scénarios. Le sujet ici est de trancher entre les leviers à disposition en pensant d’une part aux conditions d’acceptabilité sociale, absolument nécessaire pour engager une transition, et d’autre part en contribuant à imaginer la société que l’on souhaite —l’enjeu de l’écologie n’étant pas d’adopter une liste de mesures techniques, mais bien de concevoir un modèle de société en accord avec les limites planétaires.
Pour cela, un simple coup d’œil aux profils des tirés au sort d’un côté et des parlementaires de l’autre indique qu’il y a plus de connaissance de la « vie réelle » des Français parmi les 150 participants à la Convention qu’avec les 577 députés, même bien entourés, et même faisant leur travail. Parce que les parlementaires, tout simplement, ne permettent pas de présenter la diversité des situations, des parcours et des conditions de vie en France. C’est là que la légitimé d’un tel instrument a du sens à être articulée avec celle des institutions représentatives.
D’autre part, les 150 participants sont loin d’être repliés sur eux-mêmes. Tous, très engagés, se voient comme un pont avec le reste de la société française. Le CESE leur a mis en place un espace numérique pour entrer en dialogue avec le reste de la population. Les séances sont retransmises en direct en ligne. De retour dans leurs régions, les participants rencontrent associatifs, élus, en parlent autour d’eux. Sur les réseaux sociaux, ils partagent leurs expériences en temps réel et échangent avec d’autres qui suivent les travaux. Ce lien entre la prise de décision et la population dans sa diversité est précisément le rôle des élus, mais ceux-ci sont aujourd’hui fragilisés car constamment renvoyés à leur étiquette partisane, et à leur situation de classe, réelle ou fantasmée. Certains d’entre eux grinceront peut-être des dents à l’idée de voir une telle concurrence se développer. Pourtant, des articulations restent à concevoir. On peut imaginer qu’un parlementaire ou élu local ait beaucoup à gagner de voir un tel engagement se développer dans sa commune ou sa circonscription.
✊ Fabrique d’engagement citoyen
Plus largement, ce rôle actif qu’ont pris les participants à la Convention montre que ce type d’outil est un formidable vecteur de renforcement de la citoyenneté. Les témoignages des 150 se multiplient, dans la presse régionale notamment, indiquant que leur « mandat » est pris très au sérieux. Leur engagement va bien au-delà des weekends de travail de la Convention.
Par exemple, tous se renseignent sur un sujet que beaucoup ne connaissaient qu’en surface. Comme l’illustre Muriel, de Toulouse: "On nous a dit ‘vous allez faire des propositions’. Je n’ai pas toutes les connaissances donc je vais vers ceux qui ont les connaissances, je prends des notes, je réfléchis. J’ai pris mon téléphone, j’ai appelé des spécialistes, des experts des scientifiques, des agriculteurs." Beaucoup tentent un rôle de relai entre ces expertises “de terrain” et leurs travaux : auprès de leurs proches, des médias locaux, des “forces vives” selon un vocabulaire qu’aiment utiliser les élus locaux. Bref, il s’agit de former des citoyens, au sens actif du terme.
Pour Hélène Landemore, l’initiative a déjà « fait la démonstration empirique, symboliquement importante, qu’impliquer des citoyens ordinaires sur des enjeux politiques complexes au niveau national est possible, même dans un pays aussi grand et multiculturel que la France ». C’est ce qu’expliquent depuis longtemps les promoteurs d’une démocratie plus inclusive et plus participative : lorsqu’ils sont responsabilisés, plutôt que placés dans une posture passive de consommation d’un spectacle politique, les citoyens répondent présents.
C’est certainement ce point qui fait penser que d’autres conventions de ce genre pourraient encore avoir lieu à l’avenir, sur différents sujets. Dans Libération en décembre, des députés et représentants d’ONG appelaient à en créer une sur « la place des nouvelles technologies dans notre société ». Et le Parlement britannique a lui aussi créé sa Climate Assembly sur le modèle de sa cousine française, dont le dernier weekend de travail se déroule aujourd’hui-même. D’autres boutures pourraient prendre ailleurs.
💭 Intégration de nouvelles idées dans le débat politique
La quête des idées “nouvelles” ayant un attrait particulièrement puissant en politique, beaucoup attendent certainement que la Convention innove dans ses recommandations. Je crains que ce point ne soulève que des déceptions, du moins pour les connaisseurs du sujet, tant il est vraisemblable que les idées retenues soient issues de ce qui existe déjà dans le débat public et les recommandations des experts —le fait que les travaux de la Convention ne soient trop dirigés par le profil des intervenants invités fait justement partie des critiques adressées au processus. Cela ne me paraît pas regrettable en soi, tant l’apport espéré de la Convention repose sur l’objectif d’acceptation sociale, plus que sur celui de réinventer la roue.
En revanche, les conclusions de cette Convention seront une opportunité rare de placer dans le débat mainstream des idées certes déjà bien connues des spécialistes mais encore largement marginales dans un monde politico-médiatique qui trop souvent manque ou d’imagination, ou de compréhension de l’urgence, ou les deux à la fois. Le sujet appelle à de la radicalité : la Convention pourrait en être un vecteur. Je pense notamment à la question de la sobriété, complètement taboue dans le langage politique, et pourtant incontournable.
⚖️ Manque d’ancrage juridique
Passées ces notes optimistes, l’avertissement d’Arnaud Gossement vise très juste. Son principal reproche: tout le processus, n’ayant pas de base légale, dépend de la volonté d’un seul homme —le Président de la République. Celui-ci s’est engagé, à la création de la Convention, que ses propositions seraient reprises « sans filtre », soit par référendum, soit auprès du Parlement, soit par le gouvernement via la voie réglementaire.
D’une part, comme le note l’avocat, « toute l’architecture de cette convention, toute sa crédibilité repose sur la confiance dans la parole d’Emmanuel Macron. C’est profondément monarchique. […] Lors du Grenelle de l’Environnement, en 2007, les ONG avaient exigé que l’État ne soit qu’un collège parmi d’autres, au sein de la négociation. Nous vivons une forme de régression par rapport au Grenelle ».
D’autre part, cette promesse du « sans filtre » n’est pas réaliste en termes juridiques : « d’abord parce que 80 % de ce qu’on appelle la loi, c’est-à-dire notre Code de l’environnement, est élaboré non pas en France mais à Bruxelles. […] Par ailleurs, [Emmanuel Macron] ne peut pas non plus imposer la loi au Parlement. Les députés et les sénateurs pourront toujours être en désaccord avec des dispositions et voter des amendements contraires aux recommandations. Dernier problème, il faudrait que les citoyens arrivent à rédiger en trois mois un projet de loi ficelé. Honnêtement, c’est très compliqué. » Même avec toute la bonne volonté du gouvernement, un “filtre” serait inévitable. Et sans base juridique, il n’existe pas de moyen légal de s’assurer que l’esprit des recommandations faites ne soit pas travesti.
🔮 Qu’en attendre précisément?
Sans même attendre la fin du processus, Emmanuel Macron a envoyé des signaux contraires à sa parole d’origine. Il a laissé entendre que tout ne serait pas repris et s’est prononcé contre certaines propositions provisoires de la Convention, dont la reconnaissance du crime d’écocide par la France. Difficile, dans ce cas, d’y placer de trop grands espoirs. Les “garants” de la Convention, dont le réalisateur Cyril Dion, se montrent très vigilants lors de leurs dernières apparitions médiatiques.
En revanche, parce que l’exercice a été mieux cadré, plus approfondi, et que les participants s’en sont réellement saisis, la déception ne sera sans aucun doute pas aussi grande qu’avec le “grand débat” de 2019, qui n’avait rien d’un débat et que tout le monde a déjà oublié.
Pour préparer la suite, anticipant que le travail de lobbying sur leurs positions ne prendra pas fin avec la remise de leur rapport final mais au contraire ne fera que débuter, les participants ont structuré une association avec l’aide des organisateurs. Et ils ont déjà révélé une première liste non finalisée de 50 propositions, espérant ainsi peser dans les actuels débats sur le « monde d’après ».
✅ La Convention citoyenne a déjà fait la preuve qu’engager des citoyens dans des processus participatifs exigeants fonctionne d’un point de vue technique et ouvre des perspectives intéressantes en termes de fabrique de citoyenneté et de co-construction des politiques publiques.
🧱 À l’avenir, il sera nécessaire de faire reposer de telles initiatives sur des dispositions juridiques plus solides, et de les imbriquer de manière plus claire dans le processus d’élaboration de la loi. Une démocratie plus inclusive ne pourra jamais reposer sur la volonté d’une seule personne.
🧭 Ni campagne participative de surface, ni assemblée citoyenne souveraine telle que réclamée par l’écologie radicale, la Convention sera surtout ce qu’il en sera fait —par les forces politiques représentées dans les institutions, comme par la société civile qui devra organiser une campagne de pression dans les prochaines étapes. L’un des enjeux sera de ne pas laisser cette Convention neutraliser les demandes d’une nouvelle réorganisation des pouvoirs, mais de l’inscrire comme l’un des tout premiers pas sur une bien longue route.
A bientôt et bon déconfinement,
Geoffroy.
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