📊 Pivots #6: Sondages

Bonjour à tous,
(et puisque c’est la première fois que l’on se retrouve en 2020, bonne année à vous lecteurs et lectrices 🥳)
“Vous n’avez pas les bases”, comme disait l’autre. Dans Pivots, on considère acquis le fait que la prise de conscience de l’urgence écologique était en train d’atteindre des niveaux sans précédents. Mais on ne l’avait pas encore démontré. Ce numéro va donc reprendre les bases, en prenant un des moins mauvais indicateurs à notre disposition pour faire ce constat: les sondages.

Un sondage seul ne faisant jamais le printemps, je me suis basé ici sur 4 différentes études d’opinion, qui ont chacune quelque chose à apporter à la compréhension du phénomène. À une exception près, toutes les données portent sur le contexte français.
Pour les geeks de sondages, les voici: la vague 2019 de “Fractures françaises” d’Ipsos, une étude d’Elabe de novembre 2019 sur “les Français et l’environnement”, l’enquête internationale d’Ipsos pour EDF et le JDD datant également de novembre dernier, et enfin un sondage YouGov pour BusinessInsider sur “l’économie positive et durable” publié en octobre.

🥇 L’environnement est en première position des préoccupations des Français
Les études se suivent et se ressemblent, plaçant l’écologie au sommet des préoccupations des Français en 2019, juste devant les thématiques sociales. Si les méthodologies et les chiffres diffèrent, la tendance est sans équivoque (52% citent l’environnement devant 48% pour l’avenir du système social et 43% pour le pouvoir d’achat chez Ipsos, 26% le placent en premier contre 13% pour l’emploi chez YouGov).
Il est en revanche trop tôt pour savoir si cette première place est temporaire ou durable. Le plus probable est que l’augmentation des préoccupations environnementale poursuive son chemin dans les années à venir, tout en pouvant être par périodes reléguée derrière un autre enjeu, au gré des agendas médiatiques notamment.
👥 Cette préoccupation est répartie de manière relativement universelle dans la population
Lorsqu’Elabe demande aux Français d’évaluer de 1 à 10 le niveau d’importance qu’ils donnent à l’enjeu environnemental, seulement 15% des Français donnent la moyenne ou moins, et plus de la moitié répondent par au moins 8 —se disant par là “très préoccupés”.
Les polarisations sociales sont moins évidentes à dresser qu’on pourrait le penser —en tout cas lorsqu’on reste sur cette forme d’autodéclaration. Dans la même étude, pas de différence notable entre ruraux et urbains. Les cadres donnent une note moyenne de seulement 0,5 point plus élevée que les ouvriers. Et quant à l’âge, Elabe donne les plus de 65 ans légèrement plus concernés que les 18-24 ans, alors que YouGov décrit une tendance inverse.
En revanche, les polarisations selon l’affiliation politique restent visibles. Chez Ipsos, c’est même très simple: plus on se déplace vers la droite du spectre politique et moins on est enclin à placer l’environnement parmi les sujets les plus brûlants (de 67% chez la France Insoumise à 24% au Front National).
💭 La prise de conscience n’est pas si superficielle que ça
Les plus critiques pourront soulever que tout cela n’est que de l’auto-déclaration, ne permettant pas de mesurer la profondeur réelle de la prise de conscience alors qu’il est désormais largement compris que la réponse la plus socialement acceptée est de se dire préoccupé. C’est tout à fait vrai.
Cependant, quelques chiffres tendent à indiquer que tout n’est pas si superficiel. Principalement, on peut noter qu’une grande majorité indique avoir saisi que la réponse passera par des changements profonds de mode de vie, y compris vers plus de sobriété (81% selon Elabe, 64% pour Ipsos). Ce qui reste à ce jour en contradiction majeure avec le discours politico-économique dominant, refusant d’affronter la question de la sobriété. Notons aussi que pour les Français, personne n’en fait aujourd’hui assez face à l’importance du sujet: ni le gouvernement (23% jugent positivement son action selon Ipsos), ni les citoyens (40% estiment qu’ils s’engagent sur la question), ni les entreprises (dont la RSE soulève le scepticisme de plus de 60% des sondés chez YouGov).
💰 …mais les interrogations sur l’impact économique de la transition persistent
Après le consensus, les questions qui fâchent. Interrogés par Ipsos sur ce qui devrait avoir la priorité entre action écologique rapide et considérations financières et sociales lorsque cet arbitrage est à faire, les Français sont partagés à égalité stricte. Et quelques polarisations se dessinent: jeunes, cadres et professions intermédiaires tendent à favoriser l’urgence environnementale (de 55 à 62%), alors que les ouvriers et retraités considèrent que l’urgence première est sociale (54-55%).
Chez YouGov, environ les deux tiers craignent que la transition soit source de trop de réglementations et de coûts supplémentaires pour les entreprises. Et une fraction comparable dit croire que de nouvelles opportunités de marchés, d’emplois et de création de richesses se verront ouvertes —ce que je traduis plutôt par l’espoir que l’impact économique de la transition ne soit pas trop brutal.
🛠 Les Français considèrent que tout le monde doit mettre la main à la pâte
Les États, les entreprises, les collectivités locales, les individus, les ONG: pour chacune de ces catégories d’acteurs, plus de 90% des Français considèrent qu’ils ont un rôle important à jouer pour répondre aux crises environnementales (Elabe). Lorsqu’il s’agit de prioriser, c’est d’abord aux gouvernements, puis aux citoyens, et ensuite seulement aux entreprises qu’il est demandé d’agir (Ipsos/données mondiales).
🤝 …mais de manière équitable
C’est l’un des éléments les plus clairs des études d’opinion sur le sujet: la demande de justice sociale est très forte. Lorsqu’Elabe demande aux Français ce qui peux les faire accepter des sacrifices dans leur mode de vie, 69% citent en première ou en deuxième condition que ces sacrifices soient partagés de manière équitable parmi toute la société. C’est loin devant les conditions de décision collective de ces changements (39%), de compensation par le gain de nouveaux avantages (32%) ou de demande que les changements restent très limités en ampleur (20%).
L’indécision entre primauté devant être donnée à l’urgence écologique ou sociale, vue plus haut, démontre aussi cette même attente de justice sociale dans la transition.
🌏 À l’international, des lignes de fractures qui s’expliquent par les intérêts économiques
L’étude menée par Ipsos dans 30 pays parmi les plus peuplés ou les plus pollueurs de la planète donne à première vue des résultats similaires au seul contexte français : une majorité de citoyens se disent inquiets pour l’environnement, la nature humaine du réchauffement climatique est relativement peu remise en cause (un petit quart des répondants tout de même), les gouvernements n’en feraient pas assez sur le sujet, il faudra passer par des changements de mode de vie, etc.
Sans surprise, les pays qui doutent le plus sont ceux qui ont un intérêt économique à court terme à le faire. Que ce soit les pays producteurs de charbon ou de pétrole niant à 50% environ l’origine humaine du réchauffement (Arabie Saoudite, Norvège, Australie), ou les pays situés au Nord du globe considérant que certains effets du changement de climat seront positifs (Suède, Russie, Canada) —thèse hautement discutable. Les pays où les citoyens sont le moins inquiets sur la situation environnementale de leur nation recoupent également ces deux groupes.

✅ L’environnement est devenue la première cause de préoccupation des Français, légèrement devant les enjeux sociaux, et loin devant d’autres polémiques politiques. Ce qui est systématiquement ignoré par la hiérarchisation des médias dominants (journaux télévisés, émissions politiques…). Mais ce qui ne peut qu’avoir un impact au moins à court terme sur les prochains rendez-vous électoraux, les partis politiques étant très sensibles aux sondages.
✅ Malgré certaines contradictions dans l’opinion, des polarisations socio-politiques, et des doutes légitimes sur ce que valent ces auto-déclarations dans de tels sondages, plusieurs indices pointent que la prise de conscience est parfois profonde et que beaucoup considèrent que l’avenir ne pourra pas être une simple continuation du présent, sans changement profonds.
⏸ En revanche, les sondages seuls ne permettent pas de dire si cette tendance a vocation à être durable et à structurer l’opinion et l’action collective sur le long terme. Je suis convaincu que oui, mais pour le démontrer il faudra analyser bien d’autres signaux faibles!
Voilà, maintenant on a tous les bases. À dans une dizaine de jours!
Geoffroy.
C’était Pivots: deux fois par mois, on fait le point sur un aspect des transformations de société sous urgence climatique. Une recommandation? Un commentaire? Je suis dispo par simple retour de mail ou sur twitter. Pour s’abonner ou retrouver les anciens numéros, direction pivots.substack.com. Et pour partager c’est le gros bouton en-dessous.